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Chroniques d’un professeur de français :

Pourquoi apprendre le français aujourd’hui ?

Pascal Milard

Professeur de français à l’Alliance Française de La Haye

À cette question, j’ai envie de « botter en touche. » C’est-à-dire que je pourrais apporter une réponse assez évidente, sous l’angle de la politique linguistique qui serait chargée de lieux communs mais qui ne sont pas pour autant des mensonges. En effet, je pourrais déclarer qu’il est essentiel pour la population européenne dans un contexte mondialisé de ne pas maîtriser seulement une langue d’échanges mais bien plusieurs pour renforcer son accessibilité au monde et que le français se situe juste après l’anglais, aujourd’hui encore comme principale langue d’échange que ce soit dans le monde diplomatique, juridique et la 3e langue internationale dans le monde des affaires. Je pourrais ajouter que le rayonnement du français constitue un moyen de bloquer toute forme d’hégémonie culturelle et contribue à l’effort de dissémination des droits humains dans le monde. Enfin, je pourrais aussi cibler les plus jeunes pour leur dire qu’un diplôme de français en poche constitue une porte d’entrée vers de nombreuses branches internationales et un véritable enrichissement pour eux.

Bon, tout ceci n’est pas faux mais la plupart des gens le savent déjà. Il faudrait mettre à jour nos conceptions pour que le français maintienne un élan vital. C’est dans ce sens que je vais plutôt poser la question pourquoi apprendre n’importe quelle langue étrangère ? Et pourquoi le français a des petites particularités qui font son charme ?

On peut l’observer scientifiquement, les enfants qui apprennent une ou plusieurs langues dès le plus jeune âge ont de meilleures chances de développer de grandes capacités cognitives très utiles pour les interactions et le développement de la vie en société. Donc, tout simplement, connaître plusieurs langues, c’est bon pour la tête. Tout cela peut sembler bien évident et presque banal à dire mais

le multilinguisme est sans doute une des meilleures armes contre toute forme d’intolérance et de limitation des consciences.

C’est une porte ouverte vers d’autres cultures qui évite l’enfermement sur soi et l’ethnocentrisme.

Si l’on peut aisément parler de cet apport pour les enfants, qu’en est-il d’un adulte qui doit se lancer dans l’apprentissage d’une langue pour des raisons professionnelles, par exemple ?

J’ai toujours considéré qu’il fallait aborder l’apprentissage d’une langue comme le départ pour une longue aventure à la découverte de nouvelles sonorités, de nouvelles formes de penser, d’interpréter notre environnement et celui des autres.

Cet apprentissage peut laisser libre cours à nos clichés et nos fantasmes pour finalement mieux se confronter au réel. Quand on se lance dans un cours, l’intention est de défoncer « les barrières de la langue » pour dépasser les contraintes et finir par trouver le plaisir d’échanger des idées dans un autre idiome que notre langue maternelle, sans trop d’efforts apparents. Pour y parvenir, il y a tout un chemin à parcourir, parsemé de difficultés, de doutes et parfois même de démotivation. J’ai souvent l’image pour mes élèves d’une ascension de l’Himalaya et que dans cette conquête linguistique, l’acquisition du subjonctif constitue le mont Everest.

Pour en revenir justement à la question initiale de savoir pourquoi il serait intéressant d’apprendre le français. C’est justement parce qu’il s’agit d’une langue assez complexe, longtemps considérée comme langue de l’élite et qui parfois provoque une certaine appréhension lorsqu’il s’agit de l’aborder frontalement. C’est parce que son acquisition n’est pas si simple que cela rend sa maîtrise encore plus glorieuse. Il s’agit bien d’un défi et non d’une simple convenance.

Beaucoup considèrent le français comme une langue belle et agréable à écouter. Il n’est pas toujours si simple pour un natif comme moi de juger objectivement des qualités esthétiques de ma propre langue. On est suffisamment taxés de chauvinisme comme ça ! Cependant, on peut aisément reconnaître que notre langue possède des qualités assez exceptionnelles qui notamment d’un point de vue phonétique trouve un équilibre entre les langues germaniques et les langues latines dont les intonations sont beaucoup plus marquées qu’en français. Certains pourraient considérer au contraire qu’il s’agit d’une langue plate et monotone. Même si la langue de Molière n’est pas aussi chantante que l’espagnol ou même l’anglais, celle-ci possède justement des libertés d’intonation qui nous permettent d’accentuer où l’on veut très facilement les mots qui nous semblent les plus importants dans notre discours. Nous possédons aussi un vaste répertoire lexical qui nous permet d’être très précis et nuancés dans ce que nous voulons dire. En effet, le français va parfois exprimer en 30 mots ce que l’anglais ou le néerlandais pourraient dire en 10 mots, mais cette apparente logorrhée amuse aussi bien qu’elle intrigue les personnes qui l’approchent.

Elle dévoile les charmes de sa complexité à travers tout un ensemble de règles et d’exceptions encore plus nombreuses, ce qui agace parfois les apprenants et qui finalement apporte toujours une grande autosatisfaction lorsque l’on parvient à les dompter. C’est aussi ça l’intérêt d’apprendre une langue et en particulier, le français. Alors à vos chaussures de montagne, vos piolets, êtes-vous prêt pour l’ascension ?

Commentaires (4)

Article très intéressant apportant des points importants…

Véronique Falzon

Merci pour cet article Pascal! Le français est ma langue maternelle, alors pour moi, ce n’est certes pas aussi ardu que de gravir l’Everest. Mais maîtriser les règles de grammaire et d’orthographe du français pour un Français, ça tient quand même d’une bonne ascension du mont Blanc (à cloche-pied!). J’adore la grammaire et l’orthographe de ma langue, ses exceptions et tout le jeu intellectuel qu’elle provoque. C’est une langue dont on peut être fier alors merci à toute l’équipe de l’Alliance de la transmettre et de la protéger 🙂

Originaire des Pyrénées, j’aime cette belle et parlante allégorie de la montagne à gravir. Une montagne, on apprend à la connaitre, on s’en imprègne, on la partage avec d’autres. Elle nous le rend bien aussi, même si on peut pester contre elle parfois. Mais au final, comme de maîtriser une autre langue, c’est une avalanche de bonheur.
Dimitri, ancien prof de l’Alliance.

Super article

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