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CHRONIQUES D’UN PROFESSEUR DE FRANÇAIS :

Êtes-vous bilingue, mais en fait c’est quoi le bilinguisme ? 

PASCAL MILARD

Professeur de français à l’Alliance Française de La Haye

Il s’agit bien là d’une question aux réponses infinies et jamais arrêtées et tant mieux d’ailleurs !

 

Pensez-vous être bilingue en anglais ? À cette question bon nombre des Néerlandais et expatriés de La Haye répondront avec une certaine confiance que oui, leur anglais est acquis. Pourquoi en sont-ils sûrs ? Parce qu’ils utilisent cette langue quotidiennement dans un contexte professionnel avec fluidité sans avoir besoin de se poser trop de questions sur le choix des mots ou comment structurer leurs phrases. Si on leur pose la même question pour la langue française, le doute sera beaucoup plus fort. Cette langue serait donc plus difficile à apprendre que l’autre. On dira pour se rassurer qu’en effet, il y a plus de similitudes entre l’anglais et le néerlandais qu’entre le néerlandais et le français, ce qui n’est pas toujours vrai, d’ailleurs. Pour le vocabulaire, par exemple, le néerlandais compte des milliers de mots qui sont soit empruntés au français ou possèdent une influence latine. Prenez le suffixe «-es » féminin en néerlandais, comme dans le mot « lerares », celui-ci correspond au féminin français « -esse » du mot « maîtresse » et il y a bien d’autres exemples comme ça. Mais l’apprentissage et la maîtrise d’une langue ne passent pas uniquement par ces points communs du lexique. La syntaxe, la phonétique, la conjugaison et bien d’autres aspects sont aussi à prendre en considération et dans ces cas-là, on peut constater beaucoup de différences entre nos deux langues. 

Est-ce que la révélation du bilinguisme ne peut que subsister dans la pratique quotidienne d’une langue étrangère qui finirait par devenir familière ? Il est certain que la majorité des habitants de La Haye sont bien plus souvent confrontés à la langue anglaise qu’au français. Une forme solide de bilinguisme réside fondamentalement dans la pratique courante et naturelle des deux langues qui seraient interchangeables et adaptables en fonction des contextes.

Voici des mots-clés pour tenter de définir au plus près ce qu’est le bilinguisme : « expression fluide et naturelle », « confiance en soi pour s’exprimer dans diverses situations », « adaptabilité et maîtrise du contexte culturel. »

Un grand nombre de personnes ont été interrogées sur leur propre perception de leur bilinguisme et leurs réponses sont aussi variées que valables. Pour certains, si vous n’êtes pas né dans un contexte familial et scolaire déjà bilingue, vous ne pourrez jamais le devenir parfaitement. Cette première idée a été démontrée comme relativement fausse, étant donné la capacité de beaucoup de jeunes et moins jeunes expatriés à s’adapter à la nouvelle langue locale et finir par communiquer avec elle sans difficulté et s’intégrer socialement. D’autres personnes interrogées considèrent qu’ils ont été bilingues à une certaine époque mais dû à un changement de vie souvent radical, ils sont persuadés d’avoir perdu progressivement leurs compétences dans la deuxième langue. Ces personnes-là ont souvent gardé des connaissances « dormantes » de cette deuxième langue, rien ne dit qu’ils ne puissent retrouver un jour le même niveau de compétences, tout dépend de leurs pratiques. Finalement, plusieurs personnes interviewées s’accordent à dire qu’un bon accent dans la langue cible est déterminant pour prouver la maîtrise parfaite de cette langue. D’un pays à l’autre, même si les cultures jugent de manière très différente la capacité d’un « étranger » à bien s’exprimer sans accent, une des principales caractéristiques qui découle de ce jugement est une forme de discrimination.

 

Tout d’abord, que veut dire parler « sans accent » ? Cette notion est en soi absurde, cela voudrait dire en vérité que tu dois parler exactement comme moi, ce qui est bien entendu impossible. Chacun possède son propre accent, seulement on reconnaîtra celle ou celui qui est capable d’imiter au mieux les intonations et les inflexions qui donneront l’impression d’être un natif. De ma propre expérience, j’ai pu bluffer des gens, en faisant croire que je connaissais une langue à partir du moment où je prononçais correctement trois mots de cette langue. Évidemment, quand on commençait à me parler très vite et naturellement dans la langue, je ne comprenais plus rien et mon bilinguisme s’arrêtait là. 

Une multitude de facteurs plus ou moins déterminants rentrent en considération quand il s’agit de définir ce qu’est le bilinguisme. Il n’y a pas de formule arrêtée mais voici des considérations sur lesquelles nous pouvons méditer. J’ai connu un exemple marquant en tant que professeur de français avec un élève espagnol qui avait un niveau global de français entre A2 et B1. C’est-à-dire qu’il pouvait exprimer des idées basiques mais avec de nombreuses fautes linguistiques. Après 20 heures de cours avec moi, il devait passer un examen de niveau B2., Ce qui était pratiquement impossible à réussir. La grande particularité de cet élève est qu’il avait une confiance formidable en lui-même et en sa capacité à se débrouiller pour exprimer ce qu’il voulait dire, d’une manière ou d’une autre. De plus il parlait très vite, ce qui permettait de cacher quelques fautes à l’oral. Cet élève a bien obtenu son diplôme B2 à la fin des 20 heures avant tout parce qu’il croyait en ses compétences de communication et cela a porté ses fruits. Est-ce que cela prouve qu’il est bilingue ? Certainement pas, mais ça montre que la motivation et l’auto-persuasion sont des facteurs essentiels dans l’acquisition d’une seconde langue. C’est aussi une des raisons pour laquelle les enfants ont bien plus de facilités que les adultes à approcher une nouvelle langue. Ils osent et pas nous.  

 

La dernière anecdote que j’aimerais ajouter concerne un professeur et linguiste très respecté en France dont j’ai eu la chance de suivre les cours. À cette question de savoir quand une personne devenait bilingue, sa réponse était très claire et très engagée. Il disait qu’à partir du moment où une personne mettait le pied dans une classe de langue et qu’il commençait à exprimer ses premiers mots dans cette même langue, il rentrait alors dans le monde du bilinguisme qui, s’il connaît un commencement bien déterminé ne possède aucune fin. Le bilingue parfait n’existe pas, Il est toujours en devenir. Ce qui est une bonne nouvelle en soi. Le monde et les langues bougent, nous suivons chacun à notre rythme.

Pour terminer sur cette note positive, j’ajouterais que le bilinguisme et l’acquisition de tout autre langue possède de nombreux avantages qui ne peuvent plus être niés. Chez les plus jeunes (moins de 5 ans), la créativité, la concentration, les capacités d’adaptation, d’organisation et de communication sont accrues lorsque ceux-ci sont bilingues. On a même démontré que les risques de maladies mentales et cérébrales diminuaient chez eux. Donc il y a de très bonnes raisons d’apprendre une autre langue. Ça fait du bien à la santé !

Pour en savoir plus sur le sujet du bilinguisme, je vous conseille trois sites très intéressants sur le sujet avec notamment la vidéo des personnes interviewées.

 

-Un très bon article de L’Express qui donne de bonnes définitions spécifiques, notamment des bilinguismes tardif, soustractif et passif.

https://l-express.ca/etes-vous-un-bilingue-tardif-ou-soustractif/

-Cet article se concentre, quant à lui, plus sur les avantages dans l’éducation d’un enfant de parler plusieurs langues.

http://thebilingualadvantage.com/quest-ce-que-le-bilinguisme/

-Enfin la vidéo dont j’ai tiré quelques extraits sur le site de Babbel.

https://fr.babbel.com/fr/magazine/qu-est-ce-que-le-bilinguisme

 

Dans un prochain article, nous aborderons le multilinguisme précoce.

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