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CHRONIQUES D’UN PROFESSEUR DE FRANÇAIS :

Peut-ON S’AMUSER EN APPRENANT UNE LANGUE ?

PASCAL MILARD

Professeur de français à l’Alliance Française de La Haye

À cette question, je ne vois personnellement qu’une seule réponse possible : on peut et on doit s’amuser en apprenant une langue. J’ai même envie de dire qu’on n’a pas le choix ou alors l’apprentissage devient une forme de torture. La métaphore qui me vient en tête lorsque je pense à l’aboutissement d’un apprentissage, serait celle d’un accouchement long et parfois un peu douloureux. Aussi bien pour un apprenant qu’une future maman, dans ces situations-là on ne sait pas toujours bien ce qui nous arrive mais on a la certitude que la finalité sera extraordinaire. Il n’y a pas de raison que durant le processus on ne rigole pas un peu. J’ai même entendu parler de femmes qui poussaient des éclats de rire pendant leur labeur. Il s’agit bien du seul moyen de décompression naturelle qui ait des vertus parfois inattendues.

Dans ce sens, j’ai pu constater tout au long de ma carrière de professeur que la mémorisation du vocabulaire ou de certains points de grammaire est bien plus efficace et durable lorsque les élèves rient ou s’amusent de ce qu’ils sont en train de découvrir et de comprendre. Pour moi, le rire est comme un appareil photo qui prend un instantané du moment vécu, il peut le conserver dans un espace de notre cerveau beaucoup plus facilement que si on avait reçu une information de manière neutre ou pire encore de manière violente. On préférera toujours oublier des moments traumatisants et le cerveau a tendance à éliminer toute forme de monotonie tandis qu’un moment drôle peut rester comme un point de référence, une histoire qu’on répète à d’autres, ça devient intimement lié à ce qu’on a appris.

Il faut croire en l’amusement lorsque l’on « entre » dans une langue étrangère : cette matière souvent abstraite, étrange comme son nom l’indique et assez souvent agaçante du fait qu’elle diffère sur bien des aspects de notre propre langue maternelle. Le pire moment est lorsque l’on ne comprend plus du tout la logique utilisée par la culture et la langue d’autrui. C’est justement dans ces moments de difficulté – terreau de la démotivation de l’apprenant – qu’il faut absolument dédramatiser la situation. Dans ces cas-là, mon message est simple, ne pas comprendre est normal pour tout le monde. Le but du jeu est de ne pas se frustrer. Il faut ensemble trouver un terrain d’entente pour débloquer la communication et retrouver une certaine fluidité dans l’intercompréhension.

Dans une telle situation, on pourrait reprendre le vieil adage qui dit que le sujet est beaucoup trop sérieux pour être traité sans pouvoir en rire. Qu’il soit bref et contenu, dévoilant ainsi une certaine gêne ou au contraire franc et décontracté, le rire est toujours un outil de communication qui nous sert à rééquilibrer le rapport de force où parfois les élèves finissent par se sentir inférieurs vis-à-vis du professeur. En somme, rire ou sourire marque une preuve d’intelligence sociale, c’est un lubrifiant dans notre communication inter- et intra-culturelle. Comme le disait Bergson : « le rire cache une arrière-pensée d’entente, presque de complicité avec d’autres rieurs. »

En revanche, on ne peut pas ignorer que l’humour contient des notions sociolinguistiques parmi les plus difficiles à partager entre deux personnes de langues différentes. Les subtilités langagières sont parfois poussées à l’extrême lorsqu’il s’agit de faire de l’humour. Les jeux de mots, les sens cachés voire les doubles sens, ajoutez à cela quelques références culturelles, vous obtenez bien des moyens de perdre l’intérêt et l’amusement chez votre interlocuteur. Comme chacun sait, dès lors qu’on doit expliquer une blague, celle-ci n’est plus du tout drôle. Dans de telles circonstances, comment parvenir à rire avec des apprenants débutants par exemple ? Rester naturel à l’écoute de l’autre et ne rien forcer, voilà un bon crédo de départ.

Pierre Desproges disait qu’on peut rire de tout mais pas avec tout le monde, je suis plutôt d’accord avec cette grande idée.

Dans une classe, chaque situation d’apprentissage ne permet pas forcément de rire et pourtant celui-ci peut surgir à tout moment, sans prévenir pour des raisons parfois accidentelles, parfois de connivence ou parfois purement nerveuses. Le professeur se trouve face à des personnalités souvent très différentes et qui ne vont pas obligatoirement rire des mêmes choses mais là aussi, on a des surprises. Ce que je retire de mon expérience comme une certaine forme de généralité est que l’on peut partir sur une base commune avec des principes partageables par tous, comme des stéréotypes culturels ou linguistiques sur lesquels on va chercher un consensus. Par exemple, je m’amuse souvent à faire remarquer que oui le français est une langue difficile à prononcer, à structurer mais qu’elle n’est pas la seule. Je leur montre souvent des exemples d’autres difficultés trouvées dans leur propre langue et on finit tous par reconnaître qu’aucune n’est si facile que ça à apprendre. Cette conclusion amène souvent un certain amusement chez ceux qui le savent déjà ou qui finissent par le comprendre.

De toute façon, depuis des décennies l’aspect ludique s’est disséminé dans l’éducation que ce soit des enfants ou des adultes. Le jeu et l’amusement prennent une place de plus en plus prépondérante dans la formation et l’apprentissage. J’en veux pour exemple les conférences d’aujourd’hui comme celles des présentateurs/animateurs de Ted-X par rapport à l’ancienne version plus académique et souvent ennuyeuse. Sous cet angle, il me semble nécessaire de trouver un équilibre en fonction du public qui vient suivre un cours de langue. Le professeur doit savoir juger de la place que peut prendre l’humour dans ses classes en fonction des personnalités qu’il a devant lui et des sujets abordés. Il faut aussi faire en fonction de sa propre personnalité et être le plus naturel possible en évitant de porter soit le masque de l’austérité, soit le masque du clown si ceux-ci ne nous correspondent pas. Je suis convaincu d’une chose, c’est que la dynamique de classe en face-à-face, à distance, en groupe ou en privé est toujours meilleure quand le rire, même le sourire est présent. Le temps semble passer plus vite pour tout le monde et il subsiste une empreinte plus forte à la fin. Une aisance dans la communication s’est développée, les nouvelles données sont plus digestes, un lien s’est peut-être créé, une « joie de vivre » en somme.

Comme d’habitude, je vous convie à découvrir un certain nombre de liens et de documents sur l’humour dans l’apprentissage.

-Tout d’abord, un extrait d’article universitaire qui aborde très bien le sujet et qui s’intitule : Pour une pédagogie de l’humour en didactique des langues :

https://www.persee.fr/doc/apliu_0248-9430_2000_num_19_4_3009

-Un autre très bon article avec de nombreuses références sur le blog suivant :

http://www.cahiers-pedagogiques.com/L-humour-dans-l-enseignement-Apprentissage-des-langues

-Un lien vers un livre de réflexion en anglais dont le titre m’atout de suite inspiré : How laughing leads to learning de Zak Stambor pour expliquer les effets positifs de l’humour sur notre psychologie et physiologie :

https://ottowijnen.nl/how-laughing-leads-to-learning/

-Enfin, pour donner un exemple inspirant, voici un lien vers une série de vidéos professionnelles pour aborder l’Histoire sous un angle humoristique avec beaucoup d’aspects linguistiques non négligeables (mots français d’origine latine, grecque et arabe, expressions idiomatiques modernes et anciennes), leur sous-titre est déjà plutôt drôle : Avec Confessions d’Histoire, la parole est enfin donnée aux grands personnages historiques ! : http://confessionsdhistoire.fr/

Encore une fois, n’hésitez pas à apporter vos commentaires, témoignages, réflexion sur cette question : « Et vous, ça vous fait rire d’apprendre une langue étrangère ? »

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